l'or vert - écologie libertaire - 2013


Écologie : droit d'inventaire

Par Serge Panarotto


et devoir d'invention (partie 1)

 1. POUR UN BILAN DU MOUVEMENT ÉCOLOGIQUE

Si l’on excepte les innombrables associations de défense de mon pré carré (fleuri) contre mon voisin ou le vilain promoteur qui veut gâcher ma vue imprenable, et les non moins nombreuses associations de défense des gentils zanimos et leur vision idyllique de la faune "sauvage", que reste-t-il du mouvement écologique né dans les années 1970 ?

Des ex-militants atomisés, réfugiés dans les associations humanitaires ou la culture ; d’autres reconvertis à la famille, au marché et à l’idéologie néo-libérale "qu’on-ne-peut-pas-y-échapper" (… la pensée inique).

Quelques scientifiques découragés prêchant dans le désert.

Un mouvement antinucléaire, assoupi durant de nombreuses années qui, sous l’aiguillon de la catastrophe de Fukushima, semble trouver un second souffle (espoir…).

Quelques bobos qui en s’alimentant "sain" (…et cher), alimentent le juteux "marché" du bio.

Le mot "durable" systématiquement accolé au mot développement…

Quelques ministres – de droite et de gauche – qui font un petit tour (même pas en vélo…) et puis s’en vont…

Quelques indignations – passagères – quand un géant de l’industrie chimique, agroalimentaire ou pharmaceutique exagère, provoquant quelques centaines ou quelques milliers de morts.

Quelques émissions de TV où la nature et quelques (vrais) problèmes sont mis en scène ; émissions qui font de l’audience, mais, transformées en divertissement, qui n’ont aucun impact sur le réel. À peine troublent-elles un court moment notre conscience d’occidentaux repus…

De plus en plus de parcs et de "réserves" découpant, façon puzzle incomplet, les derniers territoires naturels ; ces "organismes" publics ou associatifs étant gérés ("managés"…) bureaucratiquement sous couvert d’un discours (la com !) "participatif"… Bonjour la technocratie verte !

Ah, oui… j’allais oublier. Il reste les Verts. Le "parti" des Verts, devenu EELV (Europe Écologie Les Verts) et sa stratégie électorale.

Passons rapidement, pour ne pas paraître trop cruel, sur le résultat d’Eva Joly aux élections présidentielles de 2012 (2,31%). Le "casting" n’était pas bon, mais je me garde de faire porter sur elle la responsabilité de cet échec ; rappelons-nous le score de Dominique Voynet en 2007 (1,57 %) ! Non, il n’y a pas que le choix des candidats qui est à mettre en questions ; l’organisation des Verts, leur absence de ligne idéologique claire et le choix de la stratégie électoraliste, au vu de ses (non) résultats, sont aussi à prendre en considération.

La sensibilisation aux problèmes environnementaux, à leur impact sur notre santé et nos modes de vie représenterait, selon diverses études et l’analyse des résultats d’élections sans enjeux nationaux, entre 10 et 15 % de la population (16,8 % aux Européennes de 2009, 12,18 % aux Régionales de 2010). Pourquoi cela ne se traduit-il pas dans les urnes lors des élections à enjeux nationaux ? Pour mémoire : 3,6 % aux Législatives de 2012 et 3,25 % à celles de 2007, quant aux Présidentielles, nous venons de le voir. Et qu’on ne me dise pas que c’est uniquement "la faute au système électoral français" !

D’après moi, une première réponse tient à l’organisation (euphémisme…) chaotique et mouvante (comme les sables…) de ce qui n’est ni un vrai parti, ni un vrai mouvement ; la seconde réponse tient aux jeux des ego et des ambitions personnelles avérées ou masquées. Que ce soit lors de leurs congrès ou de la préparation des diverses élections, simultanément ou alternativement, on a l’impression d’avoir affaire à des gamins dans la cour de récré ou à des vieux briscards de la politique, capables de tous les coups tordus pour arriver à leurs fins (électorales). Merci pour l’image de l’écologie !

Plus fondamental (et inquiétant) est leur absence de ligne politique authentiquement écologique identifiable. Ils tiennent tellement à affirmer des positions sur les questions sociales et économiques pour paraître "comme les autres partis", qu’ils en oublient les problèmes environnementaux et vitaux qui devraient être leur raison d’être (et d’agir). Je sais, pour fréquenter certains d’entre eux, qu’ils y sont sensibles, mais, au plan national, leur voix est inaudible, même dans leurs domaines de prédilection : pollution, nucléaire, urbanisme délirant, surconsommation, etc. On en regretterait presque Borloo…

Pour la stratégie, pas de doute. EELV a choisi la voie électorale : entrer dans le jeu des partis pour peser sur les décisions du (des) pouvoir(s) et avoir une influence pour orienter la société vers des choix plus respectueux de l’environnement et du bien-être des hommes (… et des femmes). C’est du moins ce que l’on aimerait croire… Or, si cette stratégie est légitime, elle n’est défendable qu’à condition qu’elle n’entraîne pas de compromissions trop graves, d’abandons sur les principes, et qu’elle obtienne des résultats (autre qu’électoraux) mesurables. Est-ce le cas aujourd’hui ?

Pour moi, clairement, non. Il y a maintenant plus d’un an que des écologistes sont entrés au gouvernement ; ils ont 16 élus à l’Assemblée nationale et 10 élus au Sénat ; cela fait plusieurs mandatures qu’ils ont des sièges au Parlement européen, dans les Régions, les Conseils généraux et des mairies. Pour quels changements ? Pour quelle influence ? Lequel d’entre vous est capable de me dresser un bilan positif sans rire (ou pleurer) ?

Au plan national, même après Fukushima, ils ne sont pas à même de faire fermer rapidement la plus vieille des centrales nucléaires françaises, Fessenheim, la seule que le gouvernement "de gauche" ait daigné leur abandonner (du moins le croient-ils). Et, que dire de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ? Au plan local, je travaille pour une collectivité territoriale qui a inclus des conseillers municipaux Verts (pâle) depuis deux mandats déjà ; je peux témoigner de leur influence proche du zéro.

Pour avoir de l’influence dans le jeu du pouvoir, il faut avoir du poids. Les alliances électorales ont permis a EELV d’avoir des élus malgré des scores électoraux très faibles. Cette situation les rend dépendants et aptes à avaler toutes les couleuvres. Cela ne va pas s’arranger avec les élections municipales qui approchent. Si l’on ajoute que certains élus verts sont en voie de notabilisation et prêt à participer, à n’importe quel prix, au festin des sinécures que procure notre généreuse République à ses représentants, il est légitime de se reposer la question de la pertinence et de la justesse de la stratégie électoraliste.

Mais, ne rejetons pas toute la faute sur les seuls écolos encartés ; chacun de nous a une part de responsabilité dans l’abandon flasque (souvent inavoué) des principes qui avaient fondé notre engagement pour un monde meilleur, monde dépassant la société des hommes pour l’inclure dans la totalité de la biosphère et, au-delà, de l’univers.

1973 - 2013

 2.S’ABANDONNER OU REBONDIR ?

Depuis de nombreuses années, la pensée du mouvement écologiste vit dans une errance brumeuse, à la recherche d’une cristallisation qui a du mal à précipiter. La nécessité, ressentie par beaucoup d’entre nous, de reconstruire une analyse englobante, une compréhension nouvelle et éclairante de ce monde, au-delà d’un économisme débilitant, est engluée dans des vies quotidiennes rassurantes, du moins pour nous, occidentaux qui bénéficions de conditions de vie encore privilégiées. On sent, on sait, on voit l’accumulation des nuages qui annoncent l’orage, mais on a du mal à se mettre en mouvement. Pourquoi ?

Voilà quelques éléments de diagnostic qui me viennent en vrac, à chacun de faire son tri :

– Perte du sens de l’engagement et érosion de la nouveauté de l’analyse qui, au départ, avait motivé notre entrée en écologie comme on entrait dans les Ordres ou en Révolution.

– Oubli des fondamentaux : lutte contre la dégradation de l’environnement ; détérioration des écosystèmes ; lutte antinucléaire ; promotion de l’agrobiologie ; retour à une insertion-intégration humaine au sein de la "nature" ; lutte contre l’inégalité sociale résultant de la dégradation des conditions de vie… double approche, locale et mondiale des problèmes écologiques (pollutions, réchauffement climatique, exploitation nord-sud…) ; mise en doute radicale du scientisme (dégradation de la science) et des "experts" trop souvent au service des industries et du politique ou plus simplement auto-intoxiqués par leur statut de "sachants"…

– Constatation que la conjonction et le renforcement réciproques de la critique économico-sociale et de la critique écologique n’ont eu lieu qu’à la marge. Le monde politique (…et ses "penseurs") et le monde économique (…et ses "entrepreneurs") restent profondément imprégnés par le productivisme, le gigantisme, le consumérisme et une techno-science qu’ils ont asservis à leurs fins.

 3. CE QUI A ÉVOLUÉ ET/OU CHANGÉ DEPUIS 40 ANS

Côté écologie

– Il y a bien eu prise de conscience des problèmes écologiques par la société. Mais, cette conscience a été mise entre parenthèse par la "crise" et se heurte à une force d’inertie énorme de l’ensemble du corps social (nous…), ainsi qu’à la résistance farouche (et rusée) du monde économico-industriel. Les solutions nécessaires sont désormais connues mais indéfiniment différées.

– L’émergence timide de structures supranationales et la tenue de conférences internationales sont, hélas, sans résultats probants pour le moment.

– La reconnaissance de la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique et ses conséquences sont établies mais, les états, seuls vrais maîtres du jeu, n’ont pas la volonté d’agir et sont incapables de prévenir le phénomène.

– L’exploitation-épuisement des ressources et des énergies fossiles non renouvelables se poursuit allègrement. L’apparition de politiques (très) timide de mise en place d’énergies renouvelables (soleil, eau, vent, géothermie…) a, pour le moment, des effets très limités.

– L’accentuation des pollutions terrestres et marines (l’océan poubelle…) et la déforestation à grande échelle, ainsi que la disparition de nombreuses espèces végétales et animales galopent bon train. Là encore, les (rares) solutions proposées ne sont pas à la mesure de la catastrophe en cours. L’engagement passionné de quelques associations ne peut pas suffire.

Côté international

– Après l’effondrement du communisme, la toute puissance du système capitaliste marchand occidental s’est imposée avec, en son sein, une prééminence dominatrice de sa version ultra-libérale et financière.

– On a assisté à la fin de la bipolarisation Est-Ouest, mais aussi de l’opposition Nord-Sud, avec l’émergence de nouveaux acteurs : Chine, Inde, Brésil, Turquie… Certains pays se développent, mais d’autres s’enfoncent.

– La "guerre" économique s’est intensifiée et généralisée.

– Le modèle consumériste occidental s’est étendu au monde entier. Dans les pays "en voie de développement", il est effectif parmi les classes dirigeantes et agit comme un mirage cruel pour le reste de ces sociétés.

– Les prémices d’une "guerre de civilisation" entre le monde musulman et l’occident se mettent en place. Les fondamentalismes musulmans, chrétiens, juifs, hindous… montent en puissance.

– Internet installe le "village mondial" dans la réalité avec l’instantanéité de l’information… et de la désinformation. Naissance de la guerre numérique.

1973 - 2013

Côté social

– Accentuation des inégalités dans le monde occidental et creusement abyssal de ces inégalités dans les pays émergents. Effondrement des plus pauvres qui subsistent grâce à une aide alimentaire internationale chichement distribuée.

– La "crise" financière de 2008 n’a fait que renforcer le phénomène. Alors qu’elle a été provoquée par des firmes, une idéologie et des comportements ultra-libéraux, le monde économico-politique impose aux peuples, pour sortir de cette crise, des solutions encore plus ultra-libérales ; avec les résultats que l’on constate…

– Effondrement des comportements de solidarité au profit des comportements individualistes et égoïstes (tendance lourde des sociétés occidentales depuis un siècle, qui s’étend au reste du monde…).

– Urbanisation accélérée de la planète ; basculement d’un monde à majorité rurale vers un monde à majorité urbaine.

– Omniprésence de la "société du spectacle" ; dans beaucoup de domaines, "l’entertainment" (le divertissement) remplace la culture. Les "artistes" ne sont pas les derniers à souscrire à cette évolution tout en continuant à adopter la posture du contestataire…

– Naissance et développement fulgurant du monde cyber-numérique : conjonction-synergie des ordinateurs personnels, de la téléphonie personnalisée et du réseau internet ; développement de quelques firmes géantes qui accumulent des données sur nos vies ; création de nouvelles formes de relations humaines médiatisées par les réseaux sociaux (Facebook, LinkedIn, Tweeter…).

– Amélioration des niveaux et des conditions de vie, incontestable en Occident et pour certaines catégories sociales dans les pays "émergents" (particulièrement en Asie et en Amérique du Sud).

– Amélioration de la santé et allongement de la durée de vie. Même si les cancers et quelques autres maladies liées à la "civilisation" se développent, c’est encore, indubitablement, la médecine qui gagne. Pour combien de temps encore ?

– Apparition des "biotechnologies" qui changent potentiellement le vivant. À suivre… car, dans le domaine de la procréation, du décodage de notre identité génétique, du remplacement d’organes ou de la longévité, c’est une Condition humaine millénaire qui est en train de muter.

– Diminution du temps passé au travail (positif quand c’est choisi, négatif quand c’est subi) et augmentation du temps "de loisir".

– "Déglingue" de la vie sociale traditionnelle ; recomposition-complexification des situations sociales, familiales et personnelles. Perte de statut social pour une bonne partie de la population (les "assistés"…).

– Remise en cause régulière de l’état providence. Aux plans nationaux comme aux plans inter-régionaux (Europe, Monde…) ; les "nantis" ne veulent plus payer (partager…) pour les plus "pauvres".

– L’accélération vertigineuse du temps et le rétrécissement simultané des distances se poursuivent…

Quel est l’état des oppositions ?

Dans le flux tourbillonnant de ces changements, que deviennent les critiques et les oppositions traditionnelles ? Y en a-t-il de nouvelles ? Que constate-t-on ?

Pour moi, en vrac :

– la démonétisation et la dégénérescence des contestations communistes et gauchistes après l’effondrement du modèle communiste soviétique et la conversion du modèle chinois (toujours communiste !) à l’ultra-capitalisme ;

– l’adhésion sans retenue au néo-libéralisme et à l’économisme des socio-démocrates ;

– le lent et long avortement de la "révolution écologique" espérée ; l’inconsistance, voire décomposition avancée du/des "partis" et "mouvements" écologiques ayant choisi le jeu électoral (en France en particulier ; voir plus haut) ;

– l’apparition, puis l’engourdissement du mouvement "altermondialiste" ; la fulgurance, vite retombée, des "indignés" ;

– l’émergence du concept de "développement durable", immédiatement suivi de son inflation et de sa récupération. Un beau concept vidé de son sens ;

– au plan idéologique, la seule émergence nouvelle, c’est le concept de décroissance ; du moins sa formalisation en des livres et des groupes militants actifs, car il était implicite dans la critique du consumérisme et les rêves d’équilibre nature-homme au début du mouvement écolo ;

– l’inflation (obésité, déluge, logorrhée…) de l’information et la simultanéité planétaire des communications, loin de susciter les prises de conscience écologiques, les brouillent et les embrouillent ; le futile et le vital ont la même présence, le même poids ; l’action nécessaire, au lieu d’être favorisée, en est paralysée.

À vous de compléter selon votre expérience ou votre sensibilité…


À suivre…

Partie 2 :

4. Refonder l’analyse critique

5. Proposer

6. Agir


Serge Panarotto




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